- MÉDICAMENTS NON RÉSORBABLES
- MÉDICAMENTS NON RÉSORBABLESMÉDICAMENTS NON RÉSORBABLESHier les sels insolubles de bismuth, aujourd’hui différents antiseptiques intestinaux sont accusés d’avoir provoqué des accidents neurologiques centraux. Or ces substances sont classiquement rangées parmi les médicaments non résorbables, c’est-à-dire ne diffusant pas, après administration orale, dans la circulation générale. Cette propriété pharmacocinétique était même considérée comme fort intéressante puisque, d’une part, elle permettait d’utiliser localement de fortes doses de telles substances sans crainte, d’autre part, de voir survenir des effets indésirables généraux. Or il semble bien que les accidents centraux observés récemment ne peuvent s’expliquer que par une résorption digestive même partielle de ces médicaments. Qu’en est-il donc de la notion classique de leur non-résorption digestive?En pratique, on admet qu’il n’existe pas d’imperméabilité de la muqueuse digestive et qu’ainsi toute substance peut a priori, à des degrés divers, diffuser dans la circulation générale. À la notion initiale de barrière digestive infranchissable s’est substituée une conception pharmacocinétique de la pénétration digestive. Celle-ci se réalise par diffusion passive, elle est affectée d’une certaine vitesse, proportionnelle au gradient de concentration entre la lumière intestinale et le plasma, inversement proportionnelle à la racine carrée du poids moléculaire de la substance considérée. En d’autres termes, plus la molécule est petite et plus le gradient est élevé, plus grande est la vitesse de diffusion. Si celle-ci est très faible, la pénétration est limitée par la vitesse du transit digestif: elle ne sera cependant pas nulle si le gradient est élevé et si les doses sont fréquemment répétées. Ainsi, aucun des antiseptiques intestinaux prescrits en cures continues ne semble échapper à la règle d’une résorption partielle.Il faut enfin se souvenir que le concept de substance non résorbable est fondé sur l’absence constatée de ce produit dans le plasma après son administration orale. Ce résultat est évidemment étroitement lié à la sensibilité de la méthode de détection utilisée: les techniques actuelles fondées sur les séparations chromatographiques ou sur l’utilisation de radioéléments permettent d’atteindre des limites de détection telles que des traces de médicament peuvent être maintenant mises en évidence dans le plasma alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant.Outre leur diffusion partielle dans l’organisme, ces substances peuvent être responsables d’interactions médicamenteuses et/ou de malabsorptions alimentaires. Le premier phénomène survient lorsque deux substances, l’une non résorbable, l’autre résorbable, sont administrées simultanément. Si elles se combinent au niveau du tractus digestif, le produit formé est en général peu résorbable, la quantité résorbée du second est diminuée. Dans d’autres circonstances, les deux médicaments ne réagissent pas ensemble, mais le premier, en modifiant les conditions du transit digestif, ralentit la résorption du second, provoquant ou non une diminution de la fraction totale résorbée. On peut également voir se développer des carences par malrésorption de substances normalement apportées par l’alimentation et que la présence de médicaments non résorbés empêchent de franchir la barrière gastro-intestinale. Quelques exemples illustreront ces problèmes.Les pansements digestifs antiacides , à base de cations bi- ou trivalents: calcium, magnésium, fer, etc., sont un exemple très connu de chélates de substances résorbables. De très nombreuses études montrent, par exemple, que l’administration simultanée de tétracyclines et d’antiacides diminue de façon très importante la résorption de l’antibiotique. Les taux sanguins observés sont cinq fois plus faibles qu’en l’absence d’antiacides.La cholestyramine est une substance employée comme chélateur des sels biliaires. Il s’agit d’une résine échangeuse d’ions, fortement basique, constituée d’un polymère de polystyrène, de poids moléculaire voisin d’un million, porteur d’une fonction ammonium quaternaire. À forte dose, chez le sujet normal, la cholestyramine peut induire une stéatorrhée et une malrésorption des vitamines liposolubles: A, D, K, E. Or les vitamines K sont indispensables à la synthèse de différents facteurs de coagulation, les vitamines D régulent le métabolisme des os. Lors d’emplois prolongés, la surveillance régulière du taux de prothrombine (déficit en vitamine K), de la calcémie et des phosphatases alcalines (ostéomalacies) s’impose, et il est prudent de prévenir les carences vitaminiques possibles par une adjonction systématique de ces substances au traitement par le chélateur. L’affinité de cette résine est en outre grande pour nombre d’autres médicaments dont il est pourtant important qu’ils restent à un taux constant dans l’organisme. C’est le cas de la phénylbutazone, de la digitoxine, des antivitamines K, des tétracyclines, des barbituriques et des hormones thyroïdiennes. Il est aussi nécessaire d’observer un décalage d’au moins une heure entre la prise de cholestyramine et celle d’un de ces médicaments.Un autre exemple concerne les antibiotiques actifs en milieu intestinal tels que la néomycine, la kanamycine, la streptomycine, théoriquement non résorbés mais qu’une altération pathologique de la muqueuse intestinale peut amener à se trouver à des taux sanguins non négligeables, voire être la cause d’accidents toxiques. La néomycine peut provoquer de véritables syndromes spruriformes avec stéatorrhée. Elle entrave, en effet, la réabsorption iléale de sels biliaires et perturbe la solubilisation micellaire des graisses dans l’intestin grêle. La malrésorption affecte également le fer, les sucres et la vitamine B12, ces effets paraissent dose-dépendants, la stéatorrhée n’apparaissant que pour des doses de l’ordre de 4 grammes par jour.Ainsi la notion de médicament non résorbable doit être pondérée, ces substances étant le plus souvent partiellement résorbées, donc susceptibles de développer des effets généraux. Elles peuvent également modifier la résorption d’autres médicaments qu’il convient donc de n’administrer qu’à distance des premiers. Elles peuvent enfin, mais c’est plus rare, provoquer des carences vitaminiques. Elles conservent cependant un avantage thérapeutique certain, celui de se concentrer au niveau digestif, ce qui permet une action locale, intense le plus souvent, avec un risque moindre d’effets indésirables si leur utilisation n’est pas trop prolongée. L’intérêt d’antibiotiques présentant cette particularité métabolique est manifeste lorsqu’il s’agit, par exemple, de traiter des diarrhées saisonnières.
Encyclopédie Universelle. 2012.